Vous n'êtes pas sans savoir que le gouvernement nous a pondu une nouvelle réforme de la formation professionnelle appliquée dès le 1er janvier 2015. Désormais, votre droit individuel à la formation (DIF) a été remplacé par un compte personnel de formation (CPF) destiné à vous avantager sur bien des points.
Nous allons faire rapidement le tour de la théorie autour de cette réforme et des points qui ont changé pour les concernés par le CPF, et nous verrons qu'au fond, tout cela est pire qu'un coup d'épée dans l'eau, c'est vraiment la mort de la formation professionnelle qui s'annonce en France...
Edit du 17 septembre 2015
J'ai récemment participé à une réunion d'information au sujet du CPF et des méthodes pour faire certifier des formations. Autant être honnête, il est quasi-impossible pour de petits centres de formations de réussir à faire certifier la moindre formation, même si le ou les formateur(s) sont compétents. Plusieurs points sont à noter pour mieux comprendre le mur contre lequel nous tombons :
- Il faut déposer un dossier de 13 fiches au RNCP, qui va passer par plusieurs étapes de validation, prenant en moyenne au moins un an pour aboutir. Si par bonheur le dossier est validé, il faut ensuite faire moult démarches (et prières...) pour que la formation certifiante apparaissent dans les listes de branches, au COPANEF ou au COPAREF par exemple, afin que les demandeurs d'emploi et salariés y aient accès.
- Quasiment tous les dossiers de certifications, que ce soit au RNCP, pour des titres professionnels, des CQP (...), demandent des jury de professionnels ainsi qu'une équipe pédagogiques. Autant dire que des organismes de formation d'une ou deux personnes n'ont pas "d'équipe pédagogique" en général, ce sont eux-mêmes les formateurs (mais ils n'ont pas le droit d'être jurés !).
- Il est conseillé de créer des partenariats avec d'autres centres de formation afin de pouvoir répondre à tout ou partie d'une formation certifiante, mais aussi pour pouvoir justement créer des jurys de professionnels et des équipes pédagogiques. Sur le fond, c'est plutôt intéressant, mais dans la pratique, il est rare que des concurrents copinent en business, si ? :D
Notons toutefois qu'il est possible de faire certifier des formations "courtes" (tout est à relativiser...), mais autant admettre tout de suite que ces dossiers ne devraient pas passer en priorité.
Dans l'article des Echos du 14 septembre 2015 (voir lien en bas dans cet article), il est noté que 33000 demandes ont été effectuées depuis janvier 2015, dont 10000 en août. Si nous pouvons nous féliciter de l'augmentation nette de dossiers acceptés, nous restons bien loin des 55000 départs en DIF par mois de 2014, alors que nous reprochions à ce dispositif de ne pas permettre assez de départs en formation.
En pratique, que change le CPF par rapport au DIF ?
J'ai été l'un des premiers à défendre l'idée profonde de ce CPF car certaines innovations sont intéressantes !
Désormais, la formation est à l'initiative des salariés et non plus des entreprises. Globalement, cela n'est pas bien différent car il arrivait fréquemment que ce soit les salariés eux-mêmes qui effectuaient des demandes de formations mais on peut considérer que c'est officiel maintenant...
Pour les salariés, le CPF change pas mal la donne, tant au niveau des "chiffres" que de l'offre de formation réelle. Là où le DIF offrait jusqu'à 120h de formations (obtenues en 6 ans à raison de 20h annuelles), le CPF va plus loin et permet d'obtenir 150h au total (à raison de 24h par an les 5 premières années pour atteindre plus rapidement les 120h, puis 12h par an pendant 3 ans).
Qui plus est, si le chef d'entreprise ne permet pas à un salarié de poursuivre de formations (ou de recevoir une évolution professionnelle) durant une période de 6 ans, ce compte personnel de formation est abondé de 100h supplémentaires automatiquement.
Pour reporter les anciennes heures de DIF et pour gérer le CPF, il faut se rendre sur le site moncompteformation.fr et s'inscrire (c'est gratuit). Dès que votre compte est créé, vous serez les seuls "maîtres" de vos heures de formation, que vous soyez salarié ou demandeur d'emploi, et que vous changiez d'entreprise ou non (avant, on perdait les heures de DIF à chaque changement...).
Une fois ces heures acquises, l'objectif des salariés est de trouver des formations, et c'est là que le bât blesse. L'offre de formation est famélique au regard de ce qui se faisait avant. Avec le CPF, seules les formations diplômantes (BTS, Licence, Master...) et certifiantes (CQP...) sont éligibles au système, et non plus les formations courtes "classiques" qui étaient éligibles au DIF.
Pour résumer, voici la liste des formations éligibles au CPF :
- Le socle de connaissances et de compétences
- L’accompagnement à la VAE
- Les formations qui mènent :
- à une certification RNCP
- à un CQP ou un CQPi
- à une formation inscrite à l'inventaire de la CNCP
- à une formation présente dans le programme régional de qualification
- Les formations qui figurent sur une liste :
- établie par les COPANEF
- établie par le Copinef (niveau national)
- établie par le Copiref (niveau régional)
Cela peut paraître beaucoup mais dans les faits, ces formations ne représentent peut-être que 5% à 10% du marché réel de la formation professionnelle, tout le reste devenant quasiment obsolète pour les détenteurs d'un CPF.
Concernant le bilan de compétences, c'est encore un gros flou artistique et il devient compliqué d'en faire financer par le CPF. Du côté du CIF, il existe encore à ce jour pour les formations longues mais l'aspect diplômant et certifiant du CPF impose presque de suivre les mêmes formations que celles éligibles au CIF. Au final, on se demande si les deux processus ne vont pas finir par fusionner.
N.B. : une seule exception demeure concernant le DIF, la fonction publique fonctionne encore avec ce système à ce jour...
Quels sont les problèmes du CPF ? Que va-t-il advenir de la formation professionnelle ?
Le CPF est une belle promesse et affiche de bonnes résolutions à la base, mais son application et ses nombreuses restrictions en font un outil à la limite de l'inutilisable.
En effet, quatre problèmes majeurs se posent à la vue de ce nouveau dispositif :
- L'offre de la formation professionnelle est considérablement réduite puisque seules les formations diplômantes, certifiantes ou figurant sur des listes (sans parler des accords de branches...) sont éligibles.
- Les formations sont pour la plupart trop longues pour être désirées par les salariés mais surtout pour être acceptées par les chefs d'entreprise. En effet, en France, qui dit "certification" dit "longue durée de formation". Il n'est pas rare de voir des formations d'un mois et plus, ce qui représente donc 140h minimum, soit quasiment le plafond du CPF (obtenu en 7 ans ici !). Pour un salarié, c'est assez peu intéressant et pour un employeur, c'est très coûteux... Le salarié ne pouvant pas suivre ce type de formation durant ses congés payés, il lui faut un accord employeur, mais je vois mal ces derniers valider la demande et prendre un CDD pendant un mois ou plus pour remplacer une personne en formation (imaginez payer le salaire de l'employé + le salaire du CDD + les charges salariales + le surplus du prix de la formation...). On marche sur la tête !
- Encore beaucoup de domaines de compétences sont délaissés et le flou qui règne autour de la réforme de la formation professionnelle bloque tout le marché, que ce soit pour les salariés, les entreprises, les OPCA, le Pôle Emploi et les organismes de formation...
- Les organismes et centres de formation vont avoir beaucoup de mal à faire certifier des formations dans certains domaines (dont le web, la communication ou le marketing qui sont les sujets de prédilection de ce blog). Qui plus est, je vois mal l'Etat autoriser la certification de formations de "petits" centres (comme si le fait d'être moins nombreux nous rendait moins compétent...) et surtout de courtes durées. Jusqu'à présent, je ne connais aucun cas de ce genre...
Comme je suis gentil, je vous ai fait une mini revue de presse autour du CPF, et vous verrez que je suis loin d'être le seul à être craintif à ce sujet :
- Les Echos : Le vide sidéral installé par la réforme de la formation
- Les Echos : Le compte personnel de formation peine à décoller
- Le Figaro : Débuts laborieux du compte personnel de formation
- 20 Minutes : Compte personnel de formation : en trois mois, seulement une personne a pu bénéficier du nouveau dispositif
- Libération : Compte personnel de formation : « Un échec pour le gouvernement »
- Le Monde : Le compte personnel de formation a-t-il un avenir ?
- Journal du Net (JDN) : Turbulence dans la formation professionnelle : Un secteur en Berne !
- France Info : Compte personnel de formation : seulement 1000 dossiers validés en quatre mois et des menaces sur l'emploi
- Daniel Roch : La réforme de la formation professionnelle : un immense gâchis
- Miroir Social : Le premier anniversaire de la réforme ratée de la formation (2ème partie)
En un mot, la formation professionnelle se meurt, et elle n'avait pas besoin de ça, surtout en cette période de crise durable. Je rappelle que l'idée de base était plutôt bonne et intelligente, mais comme souvent, c'était trop beau pour être vrai, et pour être bien appliqué...
Ressenti et premier bilan personnel du CPF
C'est la partie "triste" de l'article, sortez vos mouchoirs ! ^^
Plus sérieusement, je n'ai quasiment plus aucune demande de formation depuis début 2015 (ce qui représentait tout de même 90% de mon chiffre d'affaires depuis 6 ans...), et le peu de demandes que j'obtiens de la grâce des Dieux n'aboutissent pas. Je réussi à tenir en ce début d'année grâce aux formations que nous avons fait valider en fin d'année 2014 avec le DIF, mais c'est tout.
Mon bilan est donc extrêmement sombre. Le CPF a été fait pour les rares gros centres de formations parisiens (ou lyonnais, bordelais...) qui peuvent se permettre de remplir des dossiers de certifications interminables pour faire valider leurs formations, il n'a clairement pas été conçu pour sauver les petits organismes comme le mien. Désormais, l'offre de la formation sera limitée, restrictive, voire quasi inexistante (rien que dans le domaine des langues c'est la catastrophe, et il semble pourtant que ce thème est primordial...), et en plus de ça elle sera limitée à quelques dizaines (ou centaines au mieux) de centres de formation en France.*
Pour me rassurer, certaines personnes ou quelques organismes me disent qu'il reste encore le plan de formation des entreprises, indépendant du CPF. Avec ce dispositif, nous pouvons effectivement continuer notre activité, mais il y a un flou autour de cela également et j'ai très rarement eu de demandes par ce biais, même avant le CPF, donc je ne vois pas vraiment de changement en perspective...
À ce jour, j'essaie de m'en sortir en obtenant de rares contrats de référencement (ça reste mon domaine de prédilection), de rares créations de sites web et prestations en tout genre (audit de sites, création de moteurs de recherche avancés...). Si la situation ne change pas rapidement, je ne pourrai pas continuer mon activité et faire ce qui me passionne plus que tout, à savoir écrire des livres, dispenser des cours à l'université et des formations. Je me tourne donc déjà vers un éventuel salariat qui ne m'enchante guère, tout ça parce que les gouvernements successifs enchainent flop sur flop et détruisent l'emploi là où il est...