Qualiopi est une marque de certification qualité pour les prestataires d'actions de formation dévoilée par le ministère du travail dès octobre 2019. L'objectif est d'attester de la qualité de l'ensemble du processus mis en place par les organismes de formation et de leur donner une sorte de passeport pour obtenir des financement et fonds publics ou mutualisés (via les OPCO notamment, FSE, etc.). Cette certification est délivrée par des organismes certificateurs accrédités par le Comité français d'accréditation (COFRAC) ou reconnus en France.
Après cette courte introduction qui semble vendre du rêve, on pourrait se dire que Qualiopi va donc aider les organismes de formation (OF) à être plus qualitatif, à mieux suivre les stagiaires ou encore à améliorer tout simplement la formation professionnelle. Or, la réalité est et sera tout autre, et les objectifs dissimulés sous Qualiopi sont avant tout économiques et politiques dans les faits, au point de mettre en berne tout le secteur de la formation.
Le développement qui suit va être un peu long à lire (et ça risque de saigner) mais il retrace vraiment tous les aspects qui entourent la certification Qualiopi et ses conséquences concrètes dans l'application. Je dispense des formations avec mon organisme Internet-Formation depuis mi-2009 et j'ai déjà vu passer 3 ou 4 réformes (je m'y perds tellement ça enchaîne...), la précédente étant toujours décrite comme moins bonne que la nouvelle, qui elle-même se retrouve critiquée quelques mois après. Pour résumer, ces réformes sont réalisées avec les pieds, sans prendre en compte la réalité du marché et de ses acteurs, des besoins et surtout du déploiement des formations professionnelles dans les actes. Cela reviendrait à me demander de réforme le monde de la couture, et vu mon niveau, je peux vous garantir que je me raterais forcément... :-)
Le double discours hypocrite du gouvernement
Selon l'open data du gouvernement, la France compte, au moment d'écrire ces lignes, plus de 93400 organismes de formation. Avec Qualiopi, le gouvernement vise essentiellement à réduire considérablement ce nombre d'organismes de formation autour des 20000/25000 pour s'approcher davantage des "standards" que l'on peut retrouver en Allemagne par exemple.
Une fois que l'on a cet objectif politique en tête, on peut se demander pourquoi le gouvernement met toujours en avant la formation professionnelle et sa volonté d'envoyer un maximum de personnes en formation. Si les acteurs sont divisés par 4 à minima (objectif souhaité), et dans le même temps les financements réduit, il semble comptablement difficile d'imaginer une hausse du nombre de stagiaires ou d'actions de formation. J'espère que les profanes qui liront cet article comprendront donc qu'on les berne (encore une fois...) en faisant de jolis discours pour vanter la formation professionnelle alors que dans le même temps tout est fait pour tuer le secteur...
Dans l'histoire récente de la formation professionnelle, notre cher François Hollande a déjà cassé le marché en remplaçant le DIF (droit individuel de formation) par le CPF (compte personnel de formation). Je reviendrai en détail sur cette horreur qu'est le CPF dans la suite de cet article mais pour faire court, il empêche à peu près 80% à 90% des formations proposées en France d'être financées par les acteurs économiques du secteur. Le CPF a déjà tué plusieurs milliers d'OF depuis sa mise en place en 2015 et cela n'est pas fini...
En 2017, l'Etat a eu l'idée de génie de publier la réforme qualité marquée par le dispositif Datadock. Elle instaurait les prémices de Qualiopi car l'objectif de Datadock était de forcer les organismes de formation à répondre à 21 critères "Qualité" pour améliorer les processus du secteur, mais toujours de tuer au passage un bon nombres d'acteurs. Manque de chance, beaucoup d'organismes de formation se sont mis, bon an mal an, à remplir les critères de qualité exposés, et ont réussi à sauver leur peau.
Avec Datadock, on pouvait déjà estimer que les OF avaient des efforts importants pour améliorer l'ensemble des processus de formation, mais comme les objectifs de l'Etat ne sont pas ceux-là, Datadock est un échec pour nos gouvernants. Là encore, on observe toute l'hypocrisie qui se cache derrière les (nombreuses) réformes de la formation professionnelle, et qui n'a que deux idées en tête : réduire le nombre d'acteurs et les financements annuels.
Si je m'arrête ici sur ces quelques premiers exemples de l'hypocrisie gouvernementale, on constate que le mot "Qualité" est galvaudé pour le paraître. Dans les faits, tous les processus de Datadock puis de Qualiopi ne changent (et ne changeront) absolument rien en matière de qualité de formation, mais uniquement en matière d'administratif en ante et post formation. C'est donc le comble le plus total puisque on vous vend une certification Qualité qui ne valide aucunement la qualité réelle des formations. Mais bon, comment être surpris quand on connait maintenant les vrais objectifs cachés derrière cette réforme ?
Les bons mots clés de la politique
En matière de politique, nous savons qu'il existe des mots clés à sortir à l'envi pour paraître connaisseur et en maîtrise sur tous les sujets. Ici, avec le mot "Qualité" employé à outrance, cela donne l'illusion d'améliorer considérablement la formation professionnelle. Il n'en est rien...
Par exemple, au milieu de la crise sanitaire de la Covid-19, le mot magique est "stratégie". Le gouvernement parle toujours de sa "stratégie" menée de main de maître pour lutter contre la pandémie. J'ose ironiquement rappeler que, si stratégie il y avait, le gouvernement aurait dû prévoir les "x" vagues de contamination et coordonner des actions en amont. Si le mot "qualité" est utilisé comme "stratégie" actuellement, je vous laisse imaginer ce que ça donne en matière de formation...
L'idée reste donc toujours d'user de bons mots clés pour donner à la populace l'image d'une maîtrise des sujets et surtout l'illusion que les actions menées portent leurs fruits (par exemple, rien que le CPF a divisé par deux le nombre de formations mensuel réalisé, mais si vous suivez les informations officielles, cela ne semble jamais être le cas...).
Une certification payante et un audit pour freiner les petits organismes de formation
L'Etat a dû chercher longtemps pour trouver une parade à Datadock, ce dispositif gratuit qui aurait déjà dû tuer des OF. Avec Qualiopi, le bouchon a été poussé plus loin en rendant la certification payante (ou plutôt les audits obligatoires qui en découlent), et limitée dans le temps (3 ans). Autant dire qu'il n'était pas difficile de trouver un bon moyen de faire vivre des organismes en faisant payer les audits relativement cher, tout en se gardant bien de donner une certification à vie afin de pouvoir renforcer et durcir le dispositif si les objectifs ne sont pas atteints rapidement.
On pourrait comparer Qualiopi au dispositif RGE dans l'artisanat et de nombreux métiers. Par exemple, si vous faites isoler votre maison par une entreprise non RGE, vous n'avez pas le droit d'obtenir un crédit d'impôt (CITE) ou d'autres aides de l'Etat (MaPrimeRenov, prêt éco-PTZ...). Bon, en soi, votre maison est toujours aussi bien isolée si vous passez par une entreprise non qualifiée RGE, mais au regard de l'Etat, cela signifie que l'entreprise est meilleure et cela permet de stimuler une économie souterraine. En effet, les entreprises qui veulent avoir de meilleurs arguments de vente paient RGE pour être éligibles aux aides diverses, ce qui fait donc vivre les organismes certificateurs. En conséquence, ces entreprises augmentent leurs tarifs pour répercuter le coût de RGE, et le marché est divisé entre les "bons" artisans et les "mauvais" non RGE. Cela entraîne des surcoûts, fait vivre les certificateurs et force l'Etat à dépenser des aides qui auraient pu être limitées ou évitées sans cette inflation volontaire (ça aussi, ça devait être une "stratégie" maîtrisée... ^^).
Et bien Qualiopi, c'est exactement la même chose, mais vous le transposez dans le monde de la formation professionnelle. En d'autres termes, cela va diviser les acteurs de la formation, entraîner certainement des hausses tarifaires, faire vivre des organismes certificateurs. Mais au final, cela n'impactera en rien la qualité même des formations et les compétences acquises par les stagiaires. L'objectif n'est que d'interdire les financements et aides aux "mauvais" OF et de diviser les acteurs entre eux. Cela ne stimule rien, comme l'a déjà prouvé RGE d'ailleurs, mais ne fait qu'entraîner des dépôts de bilan...
Pour tout dire, j'ai dû mal à accepter que des auditeurs externes, parfois sans aucun lien avec mon métier de webmaster/webmarketer, viennent juger ma "qualité" d'organismes de formation voire de formateurs. Pire, ces organismes certificateurs ont clairement droit de vie ou de mort sur mon activité professionnelle alors que les indicateurs suivis par Qualiopi n'ont aucun rapport avec la formation en elle-même. C'est assez ubuesque de se dire que des gens qui ne connaissent ni d'Eve ni d'Adam la formation professionnelle ou les sujets traités puissent estimer que vous êtes aptes à travailler dans ce domaine (dans lequel vous avez déjà exercés des années durant sans que cela ne semble poser problème d'ailleurs...).
Je conseille au gouvernement de faire appel à moi pour auditer des garages ou des restaurants à l'avenir. Comme je n'y connais rien dans ces métiers, je devrais être parfait pour dire à ces patrons s'ils sont bons dans leur métier ou s'ils ont le droit de continuer d'exercer... ;-)
Toute l'ironie de Qualiopi se retrouve directement dans son logo officiel : "Qualiopi processus certifié République Française". Comme cela est signé "République française", j'ose rappeler que notre devise française (galvaudée) est "Liberté, égalité, fraternité". Quand on voit comment est gérée la réforme, comment sont menés les audits et ce que sont les conséquences de Qualiopi, il est difficile de parler d'égalité (de traitement et entre les acteurs), de liberté (pour les stagiaires finalement bridés par les dispositifs) et de fraternité (entre acteurs). Cela a au moins le mérite d'être drôle, au-delà d'être pathétique...
Quid de la "qualité" de la formation ?
Le problème des réformes conçues à coup de pelles, c'est qu'elles n'atteignent que très rarement leurs objectifs en matière de qualité. Qualiopi, tout comme Datadock en son temps, en est le parfait exemple. Le comble dans la formation professionnelle, vu de l'extérieur, c'est que cela ressemble à une cours d'école dans laquelle chaque gouvernement veut imposer ses idées en démontant ce que le prédécesseur a mis en place (même quand c'est plutôt bien). En résumé, cela ressemble à une bataille dans un bac à sables, mais ce sont les acteurs de la formation et les stagiaires qui bouffent les grains ou qui les prennent en pleine face...
Rappelons que Qualiopi vise à améliorer la qualité des processus entourant les actions de formation, ou autrement dit, l'administratif interminable qui encadre les formations. Partant de ce constat, cela ne change donc clairement rien à la qualité intrinsèque des formations, voire même des formateurs employés. Il ne s'agit vraiment que d'améliorer l'administratif en amont et en aval de la formation.
Par exemple, Qualiopi va évaluer la qualité du règlement intérieur et du livret d'accueil de l'organisme de formation, la mise en place de questionnaires à froid ou à chaud pour chaque stagiaire, le suivi de carrière des stagiaires après la formation, etc. Bref, que des choses qui n'ont à peu près rien à voir avec la formation au sens propre... Je pourrais même vous donner des exemples concrets de ma vie courante pour démontrer à quel point c'est ridicule et totalement inapproprié pour bon nombre d'acteurs de la formation professionnelle.
Je ne vous résume pas ici l'ensemble des critères, car sur les 29 indicateurs de Qualiopi (contre 21 pour Datadock), on peut considérer qu'environ une dizaine ont un intérêt, et le reste n'est qu'une surcouche administrative et inutile pour permettre de ne pas certifier les OF (et donc de les tuer, n'oublions jamais cet objectif politique de départ...).
Comme je suis seul à tout gérer dans l'organisme de formation, je dois donc me coltiner aussi bien l'administratif que la préparation des formations, la dispense des formations, le suivi mais aussi ma propre auto-formation afin de ne pas être dépassé dans les sujets que je traite. Autant dire que le travail est déjà important (sachant que la formation représente à l'origine 75% de mon activité, je ne fais pas ça à temps plein). Voici donc quatre cas qui peuvent se présenter pour les petits OF comme le mien :
- Avec Qualiopi, on peut estimer que la charge de travail administratif va grimper d'environ 80% supplémentaires, ce qui laissera à des cas comme le mien encore moins de temps pour faire du travail de formateur (donc moins de gain d'argent...) et pour continuer son auto-formation (donc améliorer par conséquent les formations dispensées). En définitif, la qualité de la formation en elle-même peut donc même être dégradée à la longue, mais bon, nous serons des experts en administratif et à priori, c'est ce qui compte.
- Qualiopi impose un suivi post-formation de chaque stagiaire, pour savoir d'une part si la formation dispensée a impacté la carrière de la personne et d'autre part si le stagiaire a retrouvé du travail (pour les demandeurs d'emploi ou les reconversions). Cela peut sembler intéressant mais avez-vous souvenir qu'un quelconque organisme fasse votre suivi ? Avez-vous déjà reçu des appels de votre université ou votre école pour vous demander si vous avez trouvé du travail, qui plus est en adéquation avec la formation réalisée ? Cela doit être rare mais surtout, l'intérêt est faible dans bien des cas. Imaginons que vous suiviez une formation de 2 jours en référencement web, sachant que vous êtes déjà diplômé d'un bac+5 en parallèle, pensez-vous que l'OF qui est intervenu pour les 2 jours de formation va considérablement changer votre carrière professionnelle ? Est-ce sur lui que l'on doit faire reposer l'ensemble du suivi de carrière comme s'il avait impacté la vie du stagiaire (deux jours changeraient donc tout...) ? Ces cas sont beaucoup plus fréquents qu'on ne le pense.
- Qualiopi juger aussi l'utilité d'une formation dans la vie professionnelle, mais c'est parfois très subjectif. Par exemple, avec le CPF notamment, une formation peut être réalisée pour répondre à une volonté très personnelle, elle n'impose pas forcément qu'on l'utilise derrière dans sa vie professionnelle. Bon nombre de formations sont menées pour progresser dans certains domaines précis, soit avec une volonté de s'améliorer personnellement, soit pour répondre à des besoins très ponctuels. Prenons un cas que je rencontre régulièrement : un responsable marketing veut se former au SEO car il veut mieux comprendre les tenants et aboutissants du métier, sans pour autant le pratiquer lui-même dans la vie de tous les jours (ce sont ses équipes qui pratiquent). Dans ce cas, le suivi post-formation pourrait signifier que la formation lui a apporté mais qu'il ne le pratique pas et que ça n'a pas permis de changer de poste ou de métier. En effet, ce n'était pas le but escompté, mais juste d'être plus apte à communiquer avec les équipes, avec les mêmes références, et ce type de cas n'est pas pris en compte par Datadock ou Qualiopi...
- Qualiopi impose des retours/évaluations après les formations, à froid ou à chaud. Or, beaucoup de petits organismes de formation comme le mien dispensent des formations individuelles. Dans ce cas, que dire à un stagiaire quand on va lui demander de remplir un formulaire de suivi "anonyme" ? Comment croire qu'un stagiaire dans une telle situation sera totalement objectif et honnête dans ses réponses ? Comment le formateur pourra-t-il être certain que les réponses sont pleinement sincères et l'aideront à s'améliorer ? La confidentialité des retours n'étant clairement pas assurée, les réponses seront tronquées et ne pourront pas apporter de conséquences probantes pour la suite, si ce n'est que cela ajoute encore de l'administratif dénué de sens pour ces acteurs de la formation...
Je ne vous ai donné que quelques cas concrets qui résument parfaitement la bêtise d'une réforme "Qualité" qui ne vise que l'administratif, sans prendre en compte tous les aspects du métier ni même tous les acteurs du secteur. Ici, on voit clairement que l'objectif est de ne conserver que les principaux organismes de formation et que les petits acteurs (petites PME ou indépendants) ne sont pas concernés (les critères n'étant pas adaptés, on peut le déduire ainsi...). L'Etat a donc fait le choix de tuer discrètement ceux qui n'ont pas leur mot à dire dans le secteur de la formation, et surtout qui n'ont pas la capacité de se faire entendre pour défendre chèrement leur peau. Le génocide des OF sera donc propre et mené sans que cela n'émeuve plus que ça la population, qui n'aura rien vu passer mais vivra des conséquences de la réforme : des formations parfois moins qualitatives, des chômeurs supplémentaires, des formations peut-être plus chères (plus rares ça c'est certain) et plus éloignées du domicile ou du lieu de travail, et enfin, des financements de plus en plus minces, rares et difficile à obtenir. En somme, un avenir radieux...
L'hérésie du CPF continue en parallèle...
En 2015 est sorti le CPF, un compte de formation personnel pour que chaque salarié ou apprenti puisse bénéficier d'un droit à la formation professionnelle tout au long de sa vie, sans avoir nécessairement besoin d'un accord de l'entreprise pour partir en formation. Or, la promesse n'est qu'en partie tenue et n'arrange à peu près personne dans les faits...
En 2015, les stagiaires disposaient encore d'un compteur d'heures mais cela n'est plus le cas désormais. Après un savant calcul qui ferait pâlir les meilleurs mathématiciens, l'Etat a estimé qu'il fallait attribuer 500 € par an pour les stagiaires (800€ pour les gens en plus grandes difficultés). Pour donner une idée, je vends mes formations entre 420 € et 490 € par jour, et je ne suis pas cher, donc autant dire qu'avec cette immense cagnotte, vous pouvez à peine vous payer une journée de formation par an...
Maintenant que l'on sait qu'on ne peut se financer qu'une journée (sauf si vous voulez payer de vos deniers ou trouver difficilement des cofinanceurs), nous devons aussi nous rappeler que le CPF vise à valoriser les formations diplômantes ou certifiantes. Cela exclut de fait toutes les formations (dont les miennes) qui ont pour but d'améliorer les compétences et performances des salariés ou demandeurs d'emploi au quotidien. La part des formations éligibles au CPF est donc extrêmement faible, mais surtout, souvent bien trop chères pour coller avec les finances décrites précédemment.
Pour faire simple, pouvez-vous me citer beaucoup de formations certifiantes ou diplômantes réalisables en un ou deux jours ? Hormis dans la maîtrise des langues et quelques autres secteurs, ça n'existe pas, et c'est même en général plutôt des formations longues (et donc impossible à financer soi-même). Sachez que dans les faits, les certifications en langues sauvent la face du CPF car elles constituent la majeure partie des financements accordés en matière de formation éligible au dispositif. Tout le reste n'est donc que le parent pauvre de la réforme de 2015...
Autre aberration du CPF, la libre gestion des formations. En effet, il était vendu avec la réforme que les salariés peuvent disposer de leur CPF quand bon leur semble, sans avoir la nécessité d'un accord préalable de leur entreprise (contrairement au DIF qui le précédait). Or, comme beaucoup de formations diplômantes ou certifiantes durent à minima plusieurs semaines, cela signifie dans les actes que les salariés doivent s'absenter longtemps et donc prendre des congés. Sauf que, même les 5 semaines annuelles ne suffisent pas pour pléthores de formations éligibles, donc au-delà, il faut bel et bien l'accord de l'employeur pour partir en formation (avec parfois des congés sans solde pour compléter le manque de jours). Et là, deux cas de figures peuvent se présenter :
- La formation va directement servir le salarié mais aussi l'entreprise grâce aux compétences acquises. Dans ce cas, des accords sont souvent trouvés.
- La formation n'a pas de rapport direct avec le métier exercé et suppose donc un changement de carrière. Sauf si votre patron ne veut plus de vous, la volonté de vous laisser partir si facilement peut parfois freiner l'envie de valider un tel projet...
Dans tous les cas, les longues formations en CPF (heureusement il en existe des plus courtes dorénavant) obligent l'entreprise à vous remplacer. Autant on peut se passer d'un salarié pendant 3 à 5 jours pour une formation qualifiante qui profitera à terme à l'entreprise, autant il est difficile de maintenir l'équilibre de l'entreprise quand une personne part plusieurs semaines ou mois en formation (sans garantie que ça serve directement l'entreprise comme évoqué ci-dessus). Les frais inhérents sont tels que beaucoup de refus découlent des demandes de CPF en interne, montrant ainsi les limites de la "liberté" si chèrement vendue par la réforme.
Pour que tout le monde soit au courant, les processus pour faire certifier une formation sont longs et dénués de sens, et vont même parfois à l'encontre de toute logique. Par exemple, il faut remplir un dossier de 18 pages Word par formation, qui sera validé dans les mois qui suivent si tout va bien. Le CPF impose un jury pour valider la certification ou le diplôme, dont les membres sont différents des formateurs, ce qui signifie qu'il faut aller démarcher des membres de jurys (souvent rémunérés, donc cela impacte le coût de la formation/certification). Or, des OF comme le mien ne sont composés que d'une seule personne (je gère absolument tout, de l'administratif à la formation en elle-même), et comme je n'ai pas le don d'ubiquité, il semble très difficile de trouver un jury compétent pour chacune des formations que je voudrais rendre certifiante.
Le CPF est donc quasi inapplicable en l'état, que ce soit pour les OF comme pour les stagiaires, mais au moins, cela répond à l'objectif de baisse des dépenses en matière de financement, donc vous pouvez vous attendre à ce qu'il perdure un moment...
Quel avenir pour le marché de la formation ?
J'en termine avec ma diatribe sur Qualiopi et les énièmes réformes de la formation professionnelle en tentant d'imaginer le futur de la formation professionnelle. Comme le veut la réforme, on peut imaginer qu'un quart des OF va obtenir la certification payante (pour 3 ans tout du moins) et qu'un autre quart va lutter pour sa survie. Non pas que tous les autres acteurs vont déposer le bilan (une partie malgré tout), ils ne pourront plus bénéficier de financements, ce qui était déjà plus ou moins vécu depuis l'instauration du CPF voire de Datadock pour certains.
Pour les chanceux qui peuvent se payer et réussir Qualiopi, la part de marché devrait mathématiquement grimper, mais pour combler ces demandes, il faudra faire appel à des formateurs extérieurs car ces organismes n'auront sûrement pas toutes les ressources en interne. Cela va donc considérablement modifier le marché car beaucoup d'anciens formateurs vont chercher du travail et ne seront sûrement plus à disposition (ou suffisamment démotivés pour ne pas être sous-payés par des organismes extérieurs). J'ai du mal à croire qu'en termes de chiffres, la balance permette de maintenir le nombre de départ en formation, et même de l'augmenter comme notre cher président Emmanuel Macron l'a martelé à plusieurs reprises...
Pour les stagiaires, les changements vont aussi être nombreux. Qui dit moins d'acteurs dit concurrence affaiblie, et en général, les prix gonflent dans ce type de cas. Fort heureusement, les financeurs et l'Etat étant plutôt enclin à faire chuter les prix (et donc à couler encore d'autres entreprises par effet de bord... ^^), on peut espérer un maintien des tarifs si tout se passe comme je l'imagine (et comme je ne suis pas madame Soleil, ma prévision est teintée d'optimisme ici). En revanche, les stagiaires ne doivent pas s'attendre à une amélioration de la qualité des formations, ni même à faire des économies en termes de déplacement et frais annexes. En effet, beaucoup de petits OF de province vont disparaître (ou ne plus être éligibles aux financements et aides), et il faudra donc parfois rejoindre les grandes villes environnantes ou la capitale pour suivre des formations autrefois disponibles à quelques kilomètres (la planète nous remercie pour ces efforts en matière d'écologie d'ailleurs... ^^).
N'oublions pas non plus l'objectif politique originel derrière Datadock puis la certification Qualiopi, il faut réduire le nombre d'organismes de formation, et les financements qui les accompagnent. Si par malheur, dès 2022, cet objectif n'est pas atteint, on peut d'ores-et-déjà imaginer un durcissement des critères d'audit et de validation dans les 3 ans qui suivront (durée de la certification). En d'autres termes, Qualiopi offre des leviers pour accentuer le génocide des organismes de formation et il serait étonnant que les gouvernements successifs n'en profitent pas.
Conclusion
La réforme Qualiopi est une hérésie, une honte voire un meurtre en réunion de pléthores d'acteurs économiques français, sans que cela ne semble choquer personne. Certes, le marché des OF est bien plus faible que celui des restaurateurs ou des agriculteurs, et il ne représente donc pas un électorat suffisant pour qu'on le respecte et qu'on le bichonne. Mais il n'en reste pas moins que tout est fait pour faire déposer le bilan à des entreprises qui se portaient sainement jusqu'à 2015 (avant le CPF), qui ont tenté de survivre depuis (malgré Datadock) et qui voient enfin le bout du chemin poindre. Que l'on n'entende plus nos gouvernants successifs dire qu'ils veulent sauver l'emploi, ce n'est plus audible quand on voit comment moult secteurs d'activités sont dilapidés et détruits volontairement...
Pour parler de mon cas personnel en conclusion, j'avoue ne pas vouloir/pouvoir me faire certifier à l'instant T, et je pense d'ores-et-déjà à me reconversion, après un passage tonitruant chez Pôle Emploi (après tout, il y a des formations certifiantes financées apparament, pourquoi s'en priver pour mon futur métier ? ^^). Je risque fort de faire partie des organismes de formation tués par Qualiopi (et le CPF), mais je le vis bien pour le moment, car c'est une fin quasi assurée pour les petits OF ou indépendants comme moi. Le CPF m'a déjà en partie tué, Qualiopi devrait donner un autre coup sur la tête, et la prochaine énième réforme devrait m'achever dans le meilleur des cas, donc je reste positif. Après tout, l'Etat est censé protéger son peuple et ses entreprises, je pourrai alors officiellement dire que c'est un autre exemple d'hypocrisie... ;-)