Le journalisme connaît une mutation majeure depuis l'explosion de la bulle Internet. Entre les évolutions sociétales, l'équilibre économique fragile des rédactions et la nécessité de générer des articles en temps réel 24h/24h, la course à l'information est devenue une guerre sans merci auxquelles participent tous les sites de presse en ligne, d'actualités sportives ou médiatiques, etc.
Si je m'exprime à ce sujet aujourd'hui, c'est tout simplement parce qu'à l'origine, j'ai été formé pour être chef de projet et rédacteur web. J'ai effectivement obtenu un master "web-éditorial", durant lequel j'ai eu de nombreux cours sur les techniques de rédaction papier et web, notamment avec des journalistes du journal Le Monde et de l'AFP. Sans faire de moi un "professionnel" du journalisme, je pense en toute humilité avoir au moins des bases sérieuses pour discuter de ce sujet ici avec vous.
Les qualités requises aux journalistes
Il ne suffit pas de rédiger proprement pour être journaliste, il faut aussi se donner les moyens de réussir en respectant des facteurs de base indémodables. En effet, rédiger pour rédiger n'a que peu d'intérêt, et même le référenceur web qu'il m'arrive d'être peut confirmer cela, il ne suffit pas de plaire à Google pour être rédacteur web... ^^
Lors des cours de web-éditorial que j'ai reçus à l'université, de nombreuses qualités ont été mises en avant pour démontrer ce qui fait l'essence même du bon journalisme. Tout d'abord, considérons qu'une information est une donnée qui intéresse un public défini dans un contexte précis (proximité temporelle, géographique, institutionnelle...). La première qualité du journaliste est bien entendu de répondre le plus rapidement possible à cette information, mais aussi de fournir suffisamment d'éléments intéressants pour que celle-ci soit traitée en détail. Cela peut sembler simple sur le papier, mais hormis quelques médias de qualité, il faut bien avouer que les rédactions ciblent plus souvent l'audience que l'information...
Sans faire dans les détails, voici une liste (non exhaustive) des critères à respecter pour être un bon journaliste :
- Rédiger proprement en faisant peu de fautes d'orthographe (ou coquilles). On ne demande pas forcément à tous les journalistes d'avoir une prose d'auteur de best seller, mais au moins de savoir rédiger correctement, avec des termes adéquats.
- Avoir une certaine éthique, rigueur et intégrité. Il semble que cela soit des options pour certains journalistes, et pourtant, cela fait partie des fondamentaux de leur métier. ;-)
- Dater avec précision les éléments importants d'un article. Ceux qui me suivent n'ont peut-être jamais fait attention, mais lorsque je traite d'actualités "chaudes", j'annonce toujours la date complète en début d'article. Cela a pour objectif de mettre le propos dans son temps et surtout de pouvoir être agrégé sans perte d'information. Imaginons qu'on indique juste : "Google a précisé ce mardi que...". Si l'article est agrégé ou partagé sans sa date précise, à quoi correspond "ce mardi..." ? Il convient donc de toujours préciser la date complète (quand l'article le nécessite bien entendu), et pourtant, c'est extrêmement rare de voir cela...
- Citer ses sources tant que possible (parfois les indics ne doivent pas être cités... ^^). Il est inévitable de mentionner des sources quand cela peut servir le propos, mais aussi protéger le rédacteur. Il m'est arrivé sur ce blog de retranscrire des communiqués officiels de Google ou autre, et pourtant, certains lecteurs mettaient en doute mes paroles. Qu'à cela ne tienne, mes sources étant citées, je peux me réfugier derrière et démontrer que je n'ai fait que retranscrire une "vérité" du moment, que cela plaise ou non aux lecteurs.
- Vérifier l'information et croiser les données plusieurs fois. Voici sûrement le facteur fondamental du journalisme le moins respecté au monde. C'est ainsi que des chaînes comme BFM TV ou CNews ont pu relayer des informations inventées de toutes pièces par des internautes, sans jamais avoir vérifier si cela était vrai ou faux. Toute la crédibilité d'une rédaction passe par la qualité de ses informations, alors avoir de bonnes sources ne suffit pas, il faut toujours croiser les données avant de distiller n'importe quoi à la télévision... ^^
- Ne pas rédiger uniquement pour plaire ou pour l'audience (clic, audimat...). Et oui, il faut savoir rédiger pour exprimer des vérités ou des informations qui ne plaisent pas nécessairement à son lectorat. Cela demande un tantinet de courage mais il faut en passer par là pour fournir de l'information crédible, complète et réelle. Les déçus pourront toujours nier l'évidence et aller lire une presse moins exhaustive et sérieuse...
Internet et le succès du conditionnel
Nous avons tous en tête des dizaines de sites dits de presse en ligne ou d'actualités. Grâce à eux et à certains blogs, nous avons pu inventer le terme "putaclic", démontrant dès lors que lesdites qualités requises pour fournir de l'information semblent mal utilisées. Combien d'articles ne sont rédigés que pour générer du clic ou de la visite ? Combien de données ne correspondent en rien à de l'information au sens propre ? Posons nous donc la bonne question : où sont passés nos bons journalistes ?
J'ai tendance à distinguer les sites de presse en ligne de tous les autres organes traitant d'actualités en toute genre. Non pas que tous les sites de presse en ligne soient sans défaut, mais force est de constater que des rédactions comme celles Médiapart, de lemonde.fr, du Figaro (...) sont plusieurs sérieuses et méritent le détour. Je ne serai pas aussi dithyrambique sur d'autres médias qui me traversent l'esprit, malheureusement...
Avez-vous déjà remarqué que les sites ont une forte tendance à utiliser le conditionnel ou le questionnement à toutes les sauces ? Que l'on se pose des questions ou que l'on émette des hypothèses n'a rien de critiquable au sein d'un article, c'est même de la rhétorique. En revanche, que le sujet et le titre de l'article soient eux aussi du conditionnel pose un réel problème. Cela signifie tout bêtement qu'il n'existe pas d'information pure et dure mais que l'on va broder pour pondre un article générateur de clics. Et ce phénomène est devenu monnaie courante...
Je pose donc la question : quel est l'intérêt de faire pulluler des articles sans fond et sans preuve à longueur de journée ? Je sais bien que le recrutement des nouveaux journalistes doit se faire à la va-vite, mais où va-t-on ? N'est-il pas possible de rédiger un petit peu moins, mais avec de bons articles ?
Je vais prendre un thème qui résume parfaitement le journalisme pathétique qui nous est donné : le sport. En effet, tout est dit dans le sport, mais surtout souvent tout et son contraire. Citons plusieurs cas qui font passer le mot "ridicule" pour un compliment tant le niveau de bassesse journalistique frôle l'incompétence :
- Coupe du monde de football au Brésil en 2014. BFM TV a envoyé un journaliste d'investigation sur place pour suivre l'équipe de France. Jusque-là, tout va bien... Comme les joueurs sont cloisonnés et coupés de la presse, la chaîne n'a rien à se mettre sous la dent. En toute logique, on pourrait penser que la rédaction va insister sur d'autres sujets en attendant de l'information, mais non, BFM TV n'abandonne jamais un journaliste en détresse. On se retrouve donc à voir notre journaliste sportif sur le tarmac d'un aéroport, devant l'avion des Bleus. Autant le dire tout de suite, on avait déduit qu'un avion occupé par l'équipe de France allait décoller, un simple plan sur le tarmac suffisait pour cela, mais non, les deux présentateurs du BFM TV ont tenu à demander au journaliste ce qui se passait. Et cela a duré plusieurs journaux successifs, avec toujours plus de détails sur le fameux avion statique en attente de décollage. N'avais-je pas dit "pathétique" précédemment ?
- Transfert prétendu de Neymar en juillet 2017. Ce cas là est somptueux et aura au moins le mérite de permettre aux internautes de repérer les pires journalistes des rédactions. Depuis l'annonce d'un potentiel transfert de Neymar au PSG (ce n'est pas fait au moment d'écrire ces lignes), il y a plus d'articles au conditionnel sur le sujet que de fourmis dans une fourmilière. J'ai rarement vu autant de titres racoleurs, de désinformation, de contradictions, etc. On retrouve donc des titres comme "Neymar au PSG dès ce vendredi ?", puis le vendredi un article avec "Neymar, c'est pour dimanche ?". On lit aussi beaucoup de mentions comme "selon une source proche du dossier" ou "selon un proche du joueur". On a également droit à une heure de débat quotidien sur la pseudo-chaîne de sport l'Equipe sur le transfert hypothétique de Neymar (vous savez, c'est la chaîne 21 de la TNT, celle qui estime que le tennis, le judo, le rubgy et tant d'autres sont des sports mineurs, tout simplement parce qu'elle ne parle que de foot... ^^)...
Je n'ai cité que ces deux exemples mais ils n'ont rien de caricaturaux (ce qui peut faire peur...), nous pourrions en mentionner des centaines voire des milliers du même type, et dans d'autres thématiques que le sport. Je n'ai pas évoqué la presse people ou la presse à scandale, dont le niveau journalistique est souvent si faible qu'il faudrait inventer des notes négatives pour les noter à leur juste valeur. Et j'en passe tant la désinformation, les démentis et les hypothèses mènent la danse sur la Toile...
Des mass-médias aux mass-menteurs ?
Que doit-on conclure à ce sujet ? Beaucoup de journalistes ont-ils vendu leur âme au diable pour obtenir une carte de presse ? Beaucoup de rédactions ont-elles oublié les fondamentaux de leur métier dans le seul but de faire du clic et de l'audience ? Tout porte à croire que c'est vrai tant l'économie de la presse papier est instable depuis l'essor d'Internet. Mais faut-il renier les valeurs du journalisme et l'éthique pour autant ? Je ne pensais pas qu'être un mass média voulait dire qu'il faut rédiger n'importe quoi...
L'information de masse a tué la majeure partie du journalisme, et Internet en est la principale cause. Je parle souvent de "mass-menteurs" pour évoquer toutes ces rédactions et ces sites qui nous survendent des articles fondés sur aucune information authentique et vérifiée. Cela fait le jeu des sites complotistes, souvent tout aussi ridicules, mais qui par conséquent semblent crédibles car eux ont l'audace d'argumenter voire de mettre des sources dans leurs propos.
N'oublions pas non plus l'impact fort négatif de la télévision lors des attentats à Paris notamment, alors parfois, un peu de retenue et de sérieux ne ferait pas de mal. D'ailleurs, lorsque des sujets importants sont traités, vous remarquez que toute une panoplie "d'experts" sort du chapeau pour être mis autour de la table et débattre. Et si on écoute attentivement, on remarque généralement que le débat n'apporte strictement rien, mais au moins cela meuble... ^^
Cet article ne reflète que mon avis, mais je suis très ouvert au débat à ce sujet, que ce soit pour des articles de blogs ou de presse. Que pensez-vous du niveau de qualité des journalistes actuels (de manière générale, il reste encore d'excellents professionnels fort heureusement) ? Je rêve d'un monde d'information comme l'a permis Internet, mais sans toute la désinformation que cela engendre. La course à l'info est un réel problème et il faudra bien trouver des solutions à l'avenir...